Pat Boudot Lamot
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Pat, tu es né au Vietnam. Un pays que tu as quitté très tôt, lorsque ta famille est venue s’installer en France. Peux-tu évoquer le type d’éducation dans lequel tu évoluais enfant ainsi que la façon dont l’attrait pour la musique t’est venu ?
Beaucoup de gens ont, aujourd’hui, oublié qu’il y avait une guerre entre la France et le Vietnam bien avant celle qui a impliqué les américains. C’était une guerre extrêmement difficile et cruelle qui s’est, de surcroît, soldée par un échec pour l’armée française. C’est peut être, en partie, pour cela qu’on en parle très peu…
Mon père était militaire français et ma mère vietnamienne, le coup classique…
Cette dernière était issue de la haute société de ce pays. J’ai, par exemple, un oncle qui est toujours directeur de l’Opéra de Hanoi. Dans leur famille il y avait beaucoup d’affinités avec ce qu’on appelle là-bas les intellectuels, les « belles lettres » etc…
Quand je suis arrivé en France je me suis, par contre, retrouvé dans un milieu très populaire. Cependant il y avait toujours de la musique chez nous, avec une grande attirance pour la chanson française.
Il y avait aussi beaucoup de livres à la maison…

Est-ce là qu’est né ton goût prononcé pour l’écriture ?
Certainement…
Pour moi c’était une issue naturelle et j’ai toujours été subjugué par le fait que Marcel Pagnol ait écrit son premier bouquin à l’âge de 14 ans.
Une de mes idoles d’adolescence était Arthur Rimbaud. Lorsque nous allions à l’école, tout  était extrêmement formaté alors que ces auteurs nous offrait la culture avec beaucoup de liberté. Ils accédaient à la liberté par eux-mêmes….

Je t’imagine avoir eu une éducation « classique », de ce fait comment t’est venu l’amour des musiques populaires ?
J’ai failli m’intéresser à pas mal de styles musicaux dont la musique classique et le jazz. Très curieux de nature, j’y ai fait des incursions. Il y a un détail que les gens ne connaissent pas et que je partage avec Alain « Leadfoot » Rivet (Pat était alors en tournée avec Leadfoot Rivet et Amos Garrett, Nda), c’est la passion des disques vinyles. Nous en possédons énormément tous les deux et j'ai, peut être, à mon actif l’une des plus belles collections de disques de Blues que l’on puisse trouver en France.
J’étais un collecteur avide et cela a été le déclencheur de plusieurs choses. Bon nombre de ces albums étaient des modèles.
Nous les trouvions très difficilement, il y avait beaucoup de recherches...
Nous nous différencions beaucoup des autres car ce n’était pas une musique que tout le monde écoutait…
Je possède une très belle collection et il m’arrive toujours d’écouter mes vieux vinyles même si j’ai racheté en CD beaucoup de ces disques.

Cette envie de collectionner t’est-elle venue très jeune ?
J’ai ce truc là…
On ne va pas parler de l’aspect psychanalytique mais j’ai toujours eu un attrait pour les objets et les trucs qui sortent de l’ordinaire. Que ce soit un livre, un disque, un instrument de musique, un meuble ou un tableau, j’ai toujours eu la curiosité de savoir d’où cela provient.
Cet « effet de cascade » est intéressant…

De quelle manière s’est, justement, matérialisé, ton amour pour le Blues dans ce contexte culturel ?
Comme beaucoup de gens j’ai découvert cette musique par hasard. J’ai préféré cela à la variété lambda type Sheila et compagnie…
Ce « coup de foudre » est inexplicable. Ce n’est pas de la nostalgie car c’est, pour moi, toujours très vivace et présent mais j’ai aimé cette musique avant de savoir qu’elle se nommait Blues.
J’avais très peu d’informations, j’ai commencé par acheter des disques de groupes anglais tels que les Yardbirds mais je ne connaissais pas les noms des musiciens. Par exemple, je ne savais pas que Jeff Beck jouait dedans…
Cela a duré des années …
C’est, un jour, un mec qui en 1968 m’a dit que c’était du Blues, j’étais scié…
D’autant plus que ça faisait 4 ou 5 ans que je collectionnais ces disques. A l’heure d’Internet, des informations immédiates et complètes, ça peut paraître très étrange…

C’est peut être un fait qui a forgé ton feeling …
En tout cas cela a déterminé un kaléidoscope…
Cela n’a jamais été monolithique mais extrêmement divers…
A titre d’exemple j’ai toujours autant apprécié Josh White que les Yardbirds, Muddy Waters que Mississippi John Hurt etc…
C’est la curiosité qui me menait dans tous les sens et je ne me posais pas de question. Cela faisait un ensemble…

Toi, qui est un littéraire à la base, étais-tu touché par la nature des textes de ces bluesmen bien éloignés de l’univers de Rimbaud ?
Chez Rimbaud il y a une symbolique, on se fait des représentations à travers certains mots qui  peuvent être pris au pied de la lettre et qui peuvent, aussi, représenter quelque chose.
Il est indiscutable que l’on retrouve la même chose chez Robert Johnson qui reste, pour moi, à travers ses textes l’un des plus grands écrivains de la littérature américaine.
Ce dernier était très jeune et très curieux… A son époque on ne pouvait pas toujours appeler « un chat un chat »…
Il avait l’intelligence de pouvoir transmettre des messages à plusieurs degrés. Le résultat offre des images inattendues et je trouve cela très intéressant.

Cet aspect que l'on peut nommer un “parler Blues” t'était-il très accessible. Arrivais-tu à comprendre toutes ces métaphores et ces double-sens ?
Pas réellement car j'ai commencé à maîtriser l'anglais bien plus tard.
Cependant j'étais sensible à la sonorité de ces mots qui contiennent, vraiment, une petite musique. Il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas Bob Dylan mais qui sont sensibles à sa manière de chanter. Les choses se sont affinées et clarifiées par la suite...
Il y a un détail qui m'a toujours troublé...
En effet, on a toujours voulu faire passer les bluesmen du Mississippi, qui jouaient sous leurs porches, pour des mecs un peu rustres et ignorants. Ces gars là étaient, certes, des paysans mais ils jouaient de la musique...
Essaye d'imaginer si, en France, un agriculteur se mettait à composer de la musique et à chanter ses chansons. On dirait que ce mec là est très fin et qu'il arrive à sortir de son contexte.
Les bluesmen de cette époque ont vraiment une sensibilité artistique et, fatalement, ils veulent transmettre quelque chose...
En tant qu'amateurs de Blues, nous y avons tous été très sensibles...

Comment es-tu passé de “l'admiration-collection” à la pratique de la guitare ?
Je ne l'explique pas vraiment...
Cela interroge toujours les gens qui ont un boulot lambda. J'essaye d'être pragmatique et de répondre d'une manière factuelle...
C'est aussi une chose qui interroge les gens qui auraient des velléités pour faire la même chose.
A titre personnel, je ne me suis jamais dit que je voulais être avocat, médecin ou infirmier. Je m'étais toujours dit que j'écrirai des livres ou que je ferai de la musique. Le reste n'avait aucune importance pour moi...

Quel âge avais-tu lorsque tu as commencé à jouer de la guitare ?
J'avais 14 ans...
Je n'étais pas extrêmement jeune...

Quand as-tu commencé à te produire de façon professionnelle ?
C'est venu assez rapidement. Les opportunités de commencer à jouer sont arrivées avec des groupes de bal. J'habitais en province, j'aimais le Rock et le Blues à une époque où les groupes de bal s'ouvraient au Rock'n'roll...
Avant cela les orchestres étaient exclusivement dédiés à la musette et à l'accordéon. Puis ils ont commencé à introduire des quarts d'heure de Rock dont j’étais devenu la caution pour un groupe de bal de ma région. Ce dernier avait mis des titres des Beatles et autres Rolling Stones à son répertoire.
C'est ainsi que j'ai, un peu, gagné ma vie avant de venir à Paris...

Je présume que ce dernier point a été une nécessité pour toi...
Oui, totalement...
J'étais encore au Lycée quand j'ai décidé de quitter le bahut pour “monter” à Paris où je savais que tous les comédiens ou musiciens échouaient un jour ou l'autre. Je voulais sortir du contexte un peu “étriqué”  de la ville de province où j'habitais. A cette époque (fin des années 1960), 50 kilomètres c'était énorme. Les distances étaient très différentes de maintenant. De nos jours, pour un oui ou un non, on va passer un week-end à Rome...

Quels ont été tes premiers contacts musicaux en arrivant à Paris, je suppose que Mauro Serri devait être parmi eux ?
Oui, absolument...
Il était un peu le roi de la guitare de la région où j'habitais. Nous avons fait connaissance et avons formé un groupe au sein duquel se trouvait aussi Jean-Michel Kajdan qui est un très grand musicien. Il y avait aussi un batteur qui habitait Melun et qui se nomme Jeff Gautier, il joue aujourd'hui avec Paul Personne. Nous avions un groupe ensemble et jouions en Seine et Marne avant de tenter notre chance à Paris.

A-t-il été facile, pour vous, de trouver rapidement des endroits afin de vous y produire ?
C'était la galère mais, en même temps, à l'époque il n'était pas très difficile de jouer. Nous nous produisions dans des fêtes de Lycées, dans des boites etc...
Nous étions déjà un peu aguerri...

Votre répertoire était-il exclusivement constitué de reprises ou commenciez-vous déjà à composer ?
Avec Maurro Serri nous étions fascinés par les groupes français de cette époque, comme Martin Circus... De ce fait, nous avons commencé à composer dès le départ. C'est à dire dans les années 1972-73...
Nous n'avons, cependant, pas réussi à enregistrer...
Pour gagner notre vie nous n'avions plus d'autre choix que de faire des reprises.

Quelle était la nature de vos textes alors. Etait-ce vraiment “ancré” dans les faits de société de ces années là ?
Oui, d'ailleurs je dis toujours que je fais des chansons avec ce que j'ai sous les yeux. Je peux m'inspirer de ce que je lis dans les journaux mais en y ajoutant un point de vue personnel, sans essayer de donner des leçons aux auditeurs.

As-tu continué longtemps à te produire au sein de groupes, si oui lesquels, ou t'es-tu rapidement “émancipé”afin de te produire en solo ?
Le fait de me produire en solo est venu très tard...
J'ai toujours composé mais je restais “timide” de ce côté là en faisant des maquettes chez moi, sans les faire écouter à d'autres gens. Je n'ai franchi cette étape qu'à l'âge de 40 ans révolus. J'ai donc continué à me produire avec pas mal de groupes et de chanteurs plus ou moins inconnus. On voit toujours les grosses vedettes mais la face cachée de l'iceberg est énorme. Il y avait énormément de groupes et de chanteurs, à cette époque là, dans les circuits alternatifs. Cela permettait de “tourner” très régulièrement. En période de “vaches maigres” nous pouvions toujours retourner jouer au Club Méditerranée ou dans des groupe de bal.

En dehors de ces expériences, restais-tu fidèle au Blues ou t'arrivait-il de te frotter à des ensembles plus Rock ou Chanson française ?
J'ai toujours été très Blues...
Je me souviens avoir rencontré une “nana” qui était documentaliste au journal “Libération” aux débuts de celui-ci. Elle était comme moi, quelques années auparavant, et ne connaissait même pas l'existence du mot “Blues”. Elle ne savait pas à quoi pouvait ressembler cette musique...
Je fréquentais pas mal de rockers mais j'étais toujours le bluesman de la bande... et aussi l'amateur de Blues !

Je trouve qu'il y a une certaine timidité qui se dégage de ta personnalité. Tu es un guitariste qui ne se met pas forcément en avant. On sent que tu aimes mettre ton expérience au service de tes “leaders”. Penses-tu que ce trait de caractère est un handicap en ce qui te concerne ?
Certainement...
Je ne vois pas le problème de la même manière et vais être plus direct...
J'aime jouer quand je me sens en confiance. Parfois les conditions ne sont pas réunies et je n'ai carrément pas envie de jouer. Dans ces moments là, je peux apparaître d'une manière qui peut être trompeuse. En ce qui concerne la tournée actuelle, avec Amos Garrett, je trouve que j'ai déjà suffisamment de boulot. De plus Amos est flamboyant et je prends beaucoup de plaisir à l'accompagner. Je n'ai pas besoin d'en faire plus...
D'un autre côté ce n'est pas tout à fait exact. Quand je suis avec mon groupe ou quand j'ai vraiment “les coudées franches”, je ne me sens aucune limite...
Même quand je joue seul, je suis beaucoup plus communicatif que lorsque je dois défendre mon “truc”...

A partir de quel moment as-tu commencé à accompagner des “pointures” internationales qui venaient se produire en France. Etait-ce déjà par l'entremise d'Alain “Leadfoot” Rivet ?
Oui, avec Alain nous avons une complicité de longue date. Nous avions un groupe qui s'appelait Rockin' Chair (fondé en 1979 avec, également, Patrick Verbeke et Claude Langlois, Nda). Nous avons fait pas mal d'albums ensemble et, au fil des années, avons commencé à écrire ensemble.
Quand Alain a mis entre parenthèses sa  fonction de chanteur pour devenir tourneur, il a commencé à travailler avec beaucoup d'artistes américains et anglais, il était naturel qu'il fasse parfois appel à moi.
Cependant c'est le type d'expérience qu'il m'est arrivé de vivre de mon côté. Par exemple, au début des années 1990, j'ai beaucoup joué parmi une communauté américaine qui était basée à Paris (à cette époque Pat était très polyvalent et jouait aussi bien du Blues que du Rock'n'roll ou de la Country Music, Nda). A l'époque il y avait beaucoup de restaurants américains, l'Eglise américaine qui existe toujours et des mecs qui venaient pour faire de la musique. J'en ai connu qui y sont restés dix ans et qui, en partant, ne parlaient à peine le français. On tournait, tout le temps, parmi cette communauté. Ce n'était pas des “big stars” mais nous faisions des Festivals et beaucoup de soirées...
A une époque j'ai même joué avec un gars dont le nom reste mémorable pour les anciens. Il s'agit de John Ratikan qui était vraiment un bluesman extraordinaire. Il est américain et son groupe était, exclusivement, composé d'américains. Nous avons beaucoup joué ensemble, y compris à Mulhouse, Colmar et Strasbourg il y a environ 25 ans (interview réalisée en Alsace, Nda)...
C'était avant les années 1983-84-85 durant lesquelles le Blues a vraiment commencé à être connu du grand public.

Parmi tous les artistes que tu a eu l'occasion d'accompagner, quels sont ceux qui t'ont le plus touché ?
J'étais le bluesman du groupe d'Alain Rivet qui produisait une musique très Country-Rock. En rencontrant  John Ratikan qui était, en fait, le beau-fils d'Hugues Aufray, j'ai retrouvé un pur bluesman dans la tradition de Chicago. Il était même très intransigeant et très “snob” vis-à-vis de cette musique. Il trouvait toujours des guitaristes plus Rock que Blues. C'est donc Patrick Verbecke, qui jouait dans son groupe, qui m'a mis en relation avec lui. Je l'ai accompagné pendant 7 ou 8 ans, nous avons accumulé les concerts... Que ce soit le batteur, le bassiste Jimmy Gibson etc... il s'agissait vraiment de personnages hauts en couleur et de musiciens fantastiques. Nous reprenions du Little Walter, Buddy Guy & Junior Wells etc...
Même à cette époque nous avions du mal à trouver des disques de Blues tels que les premiers Fabulous Thunderbirds. Il n'y avait que certains disquaires parisiens chez qui nous pouvions les commander... on ne trouvait pas cela à la FNAC...

Parmi les artistes qu'Alain a fait tourner. Quels sont ceux avec lesquels tu as eu le plus d'atomes crochus ?
J'appréciais déjà, bien avant l'actuelle tournée, Amos Garrett. Il est vraiment à part pour moi...
Je pense aussi à Larry Garner, à Roy Rogers qui est extraordinaire. Ce dernier pratique la musique de Robert Johnson de manière sublimée et électrisée...
Il y a vraiment de grands artistes...
Etonnament Joanna Connor et toutes ces blueswomen, je les trouvais extraordinaires...
Ces nanas étaient vraiment fantastiques...

Est-ce parce qu'elles avaient besoin de plus de “courage” pour pouvoir s'imposer dans un milieu dominé par les hommes ?
Non...
Je trouve que, plus ça va, plus la guitare devient technique et gonflée aux testostérones. Ces nanas avaient un jeu plus fin. Un gars comme Larry Garner a, cependant, un jeu très fin et subtil, assez proche de BB King sous bien des égards. De ma collection de disques, du Blues j'en étais venu au rhythm and Blues et à la Soul. Mes grandes idoles sont des gens comme Cornell Dupree...
Les guitaristes qui ont joué avec des artistes tels que King Curtis ou Aretha Franklin... c'est vraiment ma tasse de thé !

Quand as-tu réellement commencé à te produire sous ton propre nom ?
Pendant la première partie des années 1990 (de 1992 à 1996), j'étais devenu Directeur artistique d'un Club “Le Front Page”  situé à Paris, rue St Denis...
Ce Club a très bien marché...
C'était un endroit qui démarrait et où il ne se passait rien. J'étais allé voir le “taulier” en lui disant que j'organiserais bien une jam session le dimanche. Cela a été un gros succès et on m'a offert la programmation de cet endroit. J'y ai vu passer énormément de monde...
J'ai eu l'occasion d'y jouer avec Christine Lakeland, la nana de JJ Cale, qui venait de sortir son premier disque, elle était de passage à Paris...
C'est aussi là que j'ai fait connaissance avec Luther Allison qui venait, pratiquement, tous les dimanches. A partir de là nous avons fait quelques gigs ensemble. C'était des concerts assez “privés”, Bernard Allison a même joué dans mon groupe...
Cela se faisait sans idées préconçues, sans marketing et sans publicité...

Existe-t-il des enregistrements de ces rencontres ?
Pour te dire qu'il n'y avait aucune idée préconçue, nous n'enregistrions jamais...
J'ai joué des années avec John Ratikan mais, malgré quelques propositions, n'avons jamais enregistré...
Puisque dans les années 1990 je menais une vie nocturne, je rentrais tard et je faisais alors mes maquettes. Je ne les faisais écouter qu'à très peu de gens, je continuais à les emmagasiner, à prendre des notes et à écrire des chansons...
Cela avant même que je ne chante puisque je me suis mis à chanter que très tard.
Pour en revenir au “Front page”, lorsqu'il s'est arrêté on m'a fait deux ou trois propositions pour devenir Directeur de Club ou de Boite de nuit. J'étais tellement saturé, puisque je n'avais presque pas dormi pendant 5 ans, que j'ai laissé tomber tout cela afin de faire mes chansons.
Il y a eu une longue parenthèse, une longue période de réadaptation durant laquelle je n'ai fait qu'écrire en vivant sur mes économies. C'est vers 1996-97 que j'ai commencé à me produire, assez confidentiellement, dans les cabarets parisiens.

Ceci en faisant le choix de chanter en français. J'en reviens donc à ton aspect littéraire... T'influençais-tu davantage, pour tes textes, de l'école du Blues français (Patrick Verbecke, Bill Deraime, Benoit Blues Boy...) ou de la chanson française plus “académique” puisque tu es un grand admirateur de Léo Ferré par exemple ?
Ce dernier est vraiment une grande figure...
Je pense que l'on catalogue trop vite le Blues français. Il y a tellement de différences entre Bill Deraime et Benoit Blue Boy...
Je n'ai pas été attiré par ce côté Blues français même si j'en aime certains, dont Bill Deraime qui écrivait vraiment de bons textes. Je ne pense pas que les influences de ce dernier viennent directement du Blues. J'aime beaucoup les chansons d'Alain Souchon et de Jacques Dutronc, le côté lapidaire de leurs textes avec des images très précises et rapides...
Quoiqu'il en soit quand j'écris une chanson, j'essaye toujours de voir si je peux la chanter comme un Blues...
Il y a beaucoup de chansons d'Hendrix dont on oublie qu'il s'agit de titres de Blues à l'origine. Je n'ai pas de soucis avec ça, ça se fait naturellement...

Aujourd'hui, en 2009, tu nous propose un nouvel album (“Science inexacte”) en français. Peux-tu me le présenter et me parler de sa genèse ?
Ce disque là était, un peu, un pari. Pour le précédent (“Quoi qu'on en dise !” en 2004, Nda) j'ai eu un producteur indépendant qui m'a claqué dans les doigts au moment de la sortie du CD. Puis j'ai eu des ennuis “administratifs” par ailleurs... Plutôt que de plonger dans des histoires de procès et le ressentiment je me suis, aussitôt, remis à écrire dans le but de faire un nouveau disque. Je voulais enregistrer par moi-même et “Science inexacte” vient de là...
C'était pour laisser derrière moi tout un tas de galères...

A la première écoute du CD j'ai senti une grande profondeur voire une certaine tristesse qui s'en dégage. Est-ce vraiment le reflet de ce que tu ressentais au moment de l'écriture ?
Non, je pense que c'est plus une parade...
J'essaye même d'être à la limite du cynisme et d'avoir de l'humour en disant les choses.
Il est clair que lorsque je joue je prends les choses sérieusement...
Par contre j'aime beaucoup Pierre Perret mais je ne suis pas Annie Cordy !
Je ne suis pas un joyeux drille quand il s'agit de jouer.

Dans cet album, as-tu exprimé des aspects de la vie qui te révoltent ?
Ce qui me révolte sont des choses qui révoltent la plupart des gens censés...
C'est vraiment l'aspect musical, guitaristique et la forme des chansons qui m'intéressaient...
Les textes semblent nostalgiques mais je ne pensent pas qu'ils soient tristes.
La première chanson a, directement, été inspirée par les évènements qui avaient eu lieu dans les banlieues où les mecs ont cramés des bagnoles etc...
J'essaye d'avoir une certaine distance et de faire un constat par rapport à cela...
Je suis un témoin de ce qui se passe à droite et à gauche, c'est tout...

Il y a une reprise, celle d'une chanson de Serge Gainsbourg. Pourquoi ce titre en particulier et pourquoi avoir voulu le faire sonner “blues” ?
J'ai voulu la faire sonner “africaine” ...
Gainsbourg a été un des premiers, en France, à utiliser le terme “blues” dans le titre de certaines de ses chansons. Il avait une grande finesse et de grandes connaissances musicales.
Ce thème “La chanson de Vidocq” (“La chanson du forçat”, Nda) était la bande sonore d'un feuilleton télévisé quand j'étais très jeune, je devais avoir 13 ou 14 ans. J'ai toujours aimé cette chanson et, je vais te faire une révélation, j'avais lu dans un journal que Gainsbourg avouait avoir piqué cette chanson à Bob Dylan. Effectivement, cette chanson est le “repiquage” de “The ballad oh Hollis Brown”...
Cela fait donc partie du patrimoine folk sur lequel Gainsbourg a fait un texte précis où le moindre mot compte.

Maintenant que sort le disque, quels objectifs aimerais-tu atteindre avec celui-ci. Est-ce, plutôt, une carte de visite afin de tourner davantage sous ton propre nom ?
C'est toujours un peu cela, hélas...
Nous sommes dans une période durant laquelle, paradoxalement (malgré internet), il n'est pas évident de faire écouter sa musique. Il faut essayer de créer un petit “buzz”...
Je fais mes envois tranquillement et je commence à récolter des articles de presse.
Je ne te cache pas que j'aimerais, beaucoup plus, tourner avec ce disque.

Si tu devais tourner, quels musiciens aimerais-tu emmener avec toi sur la route ?
Les gens avec lesquels j'ai enregistré !
C'était un bonheur, il y avait Christophe Garreau et Christian Melliès à la basse, Amaury Blanchard et Larry Crockett à la batterie, Pascal Simoni qui a joué avec Rita Mitsouko aux claviers...
L'entente musicale était parfaite avec ces personnalités...
Chaque fois que je les croise ils me disent “Pat, on est prêts, tu nous dit quand on part...”.
Cependant, je vais surtout tourner en solo. Un concept que j'ai développé, un aspect instrumentiste...

Toi qui as traversé le Blues français sur, quasiment, quatre décennies. Comment ressens-tu l'évolution de celui-ci, est-il plus difficile de trouver des gigs aujourd'hui ?
La réponse est sans équivoque, oui...
Je l'ai traversé en marge malgré tout...
Je crois qu'en ce moment les musiciens sont vraiment à la peine. Les structures se sont écroulées et il est très très difficile de montrer son travail. Les jazzmen souffrent aussi terriblement...
En ce moment le Jazz = Jazz Manouche...
C'est un style que j'adore et j'écoute, régulièrement, Django Reinhardt mais pour les gens ils n'existe plus que ce style dans le Jazz. Tous les autres jazzmen ne travaillent presque plus. Ceci en dehors d' Aldo Romano et des 3 ou 4 grandes figures qui font tous les Festivals...

Je crois que tu as fait le choix d'autoproduire ton nouveau CD. Cela a-t-il été une difficulté supplémentaire ?
Une difficulté et un bonheur en même temps.
Je sortais d'une période difficile et ça a été un bonheur de me dire “je ne demande aucune subvention , rien à personne et je le fais moi-même, comme je veux”...
C'était un plaisir de sortir l'argent de ma poche pour payer ce disque et les musiciens...

Par quel réseau de distribution comptes-tu passer?
Je n'ai pas de réseau de distribution...
Je ne compte que sur internet, au travers de mon site www.patboudotlamot.com
Il va, peut être, se passer un miracle ou quelque chose d'autre mais je compte avant tout sur le bouche à oreille. Je compte sur toi (rires) !

Quels sont tes projets maintenant que le disque est sorti. Tourner un maximum je suppose ?
Je travaille dans ce sens. Il y a déjà des concerts qui sont “entrés”...
J'ai, Dieu merci, de bonnes chroniques faites par des gens qui comprennent mon boulot. La semaine dernière j'ai réalisé une interview pour Libération qui devrait être éditée sur le blog du journal.
Ce sont des petits signes sympathiques...
J'ai un autre projet en cours, à savoir l'enregistrement d'un album sur la musique de Robert Johnson sur lequel j'ai commencé à travaillé.
Pour pouvoir réaliser ces diques, je gagne ma vie en organisant des master classes et des ateliers de guitare car j'ai acquis une certaine notoriété pour enseigner la guitare Blues.
J'ai aussi rencontré quelqu'un qui a un projet avec un artiste africain, un mec qui est entre le Sénégal et le Mali. Je vais le rencontrer dans quelques jours...
Je ne lâche pas le morceau, il y a des trucs qui s'enclenchent ...

Cet album “conceptuel” autour de Robert Johnson, ce serait quoi ? Des adaptations françaises de ses titres ?
Non, je me permettrai de les chanter en anglais...
Je les jouerai à ma façon tout en respectant certains codes guitaristiques. J'ai déjà commencé à établir une liste de titres. J'adapterai aussi, peut être, certaines chanson en “périphérie” de l'oeuvre de Robert Johnson. Ce disque je vais l'appeler “Un français joue Robert Johnson” ...
Tu vois je revendique mon identité et je ne veux pas faire l'imitateur de cet artiste. Ce que j'aime chez Jane Birkin, c'est qu'elle a un accent anglais. De ce fait je ne vais pas essayer de passer pour un anglais ou un américain. Je veux montrer qu'un français peut aimer Robert Johnson et je vais essayer de lui rendre hommage.

C'est un concept qui pourrait se décliner sous plusieures formes, littéraires et autres...
Oui et, en même temps, ce n'est pas un pastiche...
Mon seul hobby, chez moi, est d'écouter Robert Johnson ou Muddy Waters...
Je ne suis pas content si je n'ai pas, au moins, joué une seule chanson de Robert Johnson ou de Bob Dylan par jour. C'est un truc qui me fascine et qui m'accompagne...
Je suis toujours curieux et je découvre toujours des trucs par rapport à celà. Je connais tout le répertoire de Robert Johnson, pratiquement à la lettre, c'est pourquoi je me suis dit qu'il serait marrant de l'enregistrer.

Quels sont tes amis, aujourd'hui, dans le Blues français. Toujours ceux des débuts, comme Mauro Serri, ou en as-tu également quelques uns parmi la jeune génération ?
Pour être franc, je n'en fréquente pas beaucoup...
Je passe plus mon temps à écouter Robert Johnson chez moi qu'à essayer de rencontrer ces musiciens. Il faut aussi avouer que je me produits beaucoup moins qu'eux dans certaines salles ou certains Festivals. Par contre j'ai toujours gardé les mêmes liens avec mes amis musiciens d'il y a 30 ans. Je ne me suis fâché avec aucun de mes vrais amis de cette époque. Nous avons tous démarré avec la musique en ligne de mire. En ces temps là, la musique était vraiment la trangression d'un interdit donc un truc extrêmement fort qui était très important. De ce fait nous n'avons jamais lâché le morceau...
Je suis toujours ami avec Mauro Serri, Jean-Michel Kajdan etc...
J'aimerais bien avoir plus de rapports avec des musiciens plus jeunes car j'entends beaucoup de choses très intéressantes. Il y a toujours des gars qui, dans leur coin, écrivent des Blues qui sont en français (donc compréhensibles par ma grand-mère) et qui me semblent très prometteurs.
Peut être, qu'un jour, cela se fera... c'est simplement que les circuits sont parrallèles et ne se croisent que très rarement.

As-tu une conclusion à ajouter ?
La conclusion est que je crois que, ce soir, nous allons manger des moules-frites. On nous attend !

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Interview réalisée au
Caf’ Conc’ d’Ensisheim
le 14 octobre 2009

Propos recueillis
par David BAERST

En exclusivité !

 

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de
David
BAERST
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